Je ne saurais pas vraiment expliquer pourquoi je suis devenu polygame.
Je pourrais parler de religion, de tradition, de circonstances.
Mais la vérité, c’est que je ne sais pas.
Et c’est peut-être ça, le plus douloureux.
Je m’appelle Abdou, Sénégalais, et j’ai 60 ans. Parfois je me demande encore à quel moment ma vie a basculé.
J’ai rencontré Binta quand j’étais jeune, à peine la trentaine. Elle était belle, ambitieuse, entière. Une femme qui savait ce qu’elle voulait, qui fonçait dans la vie avec une énergie contagieuse. Moi, j’étais employé de banque. Elle, elle développait une boîte dans la formation. Elle bossait dur, et ça marchait. C’était le genre de femme qui vous pousse à devenir meilleur. Et moi, je l’aimais. Vraiment.
On avait nos repères, notre rythme, nos projets. On avançait ensemble, chacun à sa manière. Elle dans la lumière, moi dans l’équilibre. Et puis un jour, il y a eu Fatou.
Elle est entrée dans ma vie sans prévenir. Elle était jeune, douce, séduisante. Pas vraiment le genre à faire du bruit, mais assez présente pour qu’on la remarque. Et elle a tout fait pour que je la remarque. J’ai résisté, au début. Enfin… je crois. Et puis j’ai cédé. J’ai commencé à la fréquenter. En cachette. Sans en parler à Binta.
Et puis un jour, entre culpabilité religieuse et fuite en avant, j’ai décidé d'épouser Fatou comme deuxième femme. Juste comme ça. Sans préparation. Sans explication. Sans même me demander si c’était ce que je voulais vraiment.
Je suis rentré à la maison, accompagné de mes oncles. Et j’ai annoncé à Binta que je venais d’épouser une autre femme.
Pas un cri. Pas une insulte. Pas même un reproche.
Juste un silence. Un long silence.
Le genre qui vous colle à la peau.
Elle n’a rien dit. Elle a continué à s’occuper du foyer.
Elle a accepté les règles. Les jours de présence. Le partage du mari.
Mais entre nous, quelque chose s’était brisé.
Les jours ont continué, comme si rien n’avait changé.
Binta s’occupait du foyer. Elle ne posait pas de questions.
Fatou vivait séparément, les jours étaient répartis, les règles respectées.
Mais la vérité, c’est que moi, je ne savais pas ce que je faisais.
Je me disais que j’étais dans mon droit, que c’était légitime.
Mais au fond, je me perdais.
Quelques semaines plus tard, alors que j’étais avec Binta, elle m’a proposé qu’on parte.
Juste nous deux. Loin des enfants, des responsabilités.
Elle avait tout préparé : billets d'avion, valises, lingeries et astuces de femmes...
Dix jours à Dubaï, comme une parenthèse.
On s’est retrouvés. On s’est aimés. On s’est reconnectés.
Mais à notre retour, les murmures ont commencé.
Pourquoi ce voyage avec Binta, alors que j’étais censé être en lune de miel avec Fatou ?
La famille de Fatou s’en est mêlée. Son père m’a convoqué. Il voulait des réponses que je n’avais pas.
Et Fatou a commencé à s’éloigner.
Sans crise, sans scandale. Juste de la distance.
Elle a construit sa vie à part, s’est concentrée sur notre fille.
Je les voyais de temps en temps, mais sans grande connexion.
Et puis un jour, presque naturellement, on a officialisé ce qui était déjà évident : la séparation.
Sans drame, sans rancune.
Juste deux vies qui ont pris des chemins différents.
Avec Binta, la vie a repris son cours.
On a élevé nos enfants. On a fait grandir nos affaires.
Et notre amour aussi, étrangement, a grandi.
Il y a eu des blessures. De la honte parfois.
Mais aussi de la tendresse. Du pardon. Et beaucoup de maturité.
Aujourd’hui, je regarde ma vie et je me dis que j’ai eu de la chance.
La chance d’avoir une femme comme Binta.
La chance qu’elle m’ait aimé assez pour rester.
Et pour me reconstruire sans me rabaisser.
Je suis devenu polygame sans vraie raison.
Mais c’est avec elle, ma première femme, que j’ai appris à aimer pour de vrai.